Plus le même endroit mais la même terre, je le sens. Douce et moelleuse sous mes pieds nus. Malgré le soleil haut dans ciel frappant durement le sol je suis à l’ombre. De qui ? De quoi ?
Une tour immense percée de fenêtres indénombrables de formes et couleurs différentes.
Une joie pour les yeux.
Un fourmillement pour mon corps.
Grimper voilà ce que me crie mon âme. Mon corps se tend, mes muscles s’emplissent de l’énergie accumulée. Il va en falloir pour arriver là haut je le sais.
Sourire en remarquant ma peau. L’ascension se fera en humaine ou ne se fera pas…
Course rapide. Mes pieds effleurent à peine la terre laissant simplement derrière moi un sillon de poussière en suspension dans l’air créant des arabesques de feu.
Saut improbable. A la limite des possibles. Un peu plus animale que simple humaine. Je ne peux rien faire contre cela ce serait renier la partie profonde en moi. Mes doigts crochètent les prises et hissent mon corps. Début d’une course contre la gravité et je compte bien être en haut avant qu’elle ne me rattrape. Le vent siffle doucement à mes oreilles ne semblant pas vouloir me déséquilibrer mais je reste méfiante. Plus aucune prise au dessus de moi-même infime.
Plus qu’une solution.
Je relâche la tension et laisse mon corps être attiré par le vide. Décompte des secondes pour ne pas laisser la gravité gagner si facilement. Quinze. Deux petites secondes de plus et mon corps se tend comme un arc. Douce courbe. Peau contre le métal froid de la rambarde. Impression d’être déchirée par la force de l’attraction.
Mouvement de balancier et je suis sur le rebord d’une fenêtre. Je fais rouler mes épaules dans une grimace avant de jeter un œil en bas. Le sol est déjà loin mais les nuages ne semblent pas vouloir se rapprocher. Je saute dans la pièce qui me tend les bras.
Circulaire.
Vide.
Ou presque…
Un immense dessin de dragon recouvre le mur. On dirait mon ami. C’est comme si j’étais face à une explication. Comme s’il fallait que je le vois.
Prise de conscience.
Sourire.
J’ai maintenant un but de plus pour atteindre le sommet. Et celui là me tirera vers le haut mieux que n’importe quel autre. La prochaine fenêtre se trouve au dessus de moi proche du plafond. Nouvelle course. Appuis sur le mur. Rebond. Crochetage in extremis de l’arête d’une poutre en bois. Je me hisse avec un rire. Liberté chante dans mes veines. Le reste du chemin jusqu’à l’ouverture n’est que sauts et pirouettes.
Enfin je sors sur un autre versant de la tour majestueuse et une voie s’ouvre devant moi. Les prises s’enchainent à nouveau. Mes bras commencent à trembler et je sais que si je veux gagner cette course il me faudra me reposer. La mer de nuages n’est plus très loin maintenant. L’étape se fera à ce moment, je la dépasserai avant de laisser mes muscles se détendre. La tour s’enflamme sous les rayons vespéraux et mon âme danse avec les rayons ignés. Le spectacle me tire une seconde d’inattention.
Fatale à cette hauteur.
Mon pied ripe sur une des pierres rendues glissantes par la mousse et mon corps tombe. Chute lente mais brutale. Dernier sursaut d’orgueil. Un bras tendu dans l’espoir de raccrocher une prise. Quatre griffes naissent d’une brèche entre le rêve et la réalité et plongent dans un interstice mural retenant mon corps. Je me rétablis et elles disparaissent. Reprenant leur place dans les possibles du rêve. Mon cœur bat trop vite pour que je puisse le calmer et faire taire les tremblements qui ont saisit toutes les fibres de mon corps. Il me faut un endroit pour respirer sans manquer une chute mortelle.
J’avise à droite une fenêtre. Je limite mes déplacements au chemin le plus court. Pas question de profiter. Enfin assise depuis quelques minutes je remarque un geste machinal. Massage de ma main droite. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Les écailles, la fourrure et maintenant les griffes. Qu’est ce que je suis ?
Enfin je me calme et la seule façon d’oublier les questions est de me jeter à corps perdu dans la pente vertigineuse. La tour devient glissante et parfois il me faut jouer avec un courant d’air pour me rétablir. Mon corps commence à comprendre l’enchainement et je grimpe de plus en plus vite.
Mains.
Pieds.
Pierres.
Air.
Ascension.
Enfin je perce la mer de nuages. Plus aucune prise. Nouvelle entrée. Je m’y engouffre avec la force de la fatigue. Oscillation incertaine sur une corde tendue au dessus du vide. Je sais que mes jambes vont lâcher d’ici peu mais elles attendront l’autre côté. Je l’espère…
Un rayon de lune éclaire la pièce et vient caresser mon visage. Impression de devenir une autre. Entière…
Le balcon accueille mon corps endoloris et je soupire. La douleur est bonne. C’est celle qui fait vibrer le corps et se sentir vivant. Assise sur la rambarde, les pieds dans le vide je me calme, nourrissant mon cœur de ces rayons argent. Je ne sais combien de temps j’attends mais quand je repars Ma Dame est haute dans le ciel éclairant le chemin. Le sommet se profile. Plus vraiment loin mais bien assez pour que la route soit encore létale.
Un nouveau sourire étire mes lèvres craquelées par le froid. Envie de jouer avec les nuages. Avec la vie. Avec le hasard. Debout, en équilibre j’étire mes muscles souffrants. Geste absurde. Improbable. Réalisé avec la facilité de ceux qui l’ont dans le sang.
Mon corps se ramasse sur lui-même.
Bondissement félin.
Fourrure le temps d’un rêve.
Reprise de l’ascension. Plus aucune fenêtre. Je tourne autour de la tour cherchant parfois longtemps ma voie sous l’œil bienveillant des étoiles. Mélodie porteuse d’espoir. De rêves.
Combien de temps pour atteindre le sommet ?
Je ne saurais le dire. Le temps d’une danse avec la nuit. D’un sourire à la liberté.
Dernier mètre.
Force de la fin dans mes veines. Pied posé sur le toit du monde. Derniers étirements teintés d’un soupir de joie et de douleur avant de repenser au dessin.
Les yeux clos j’imagine. Être légendaire volant dans les cieux, détails infime de sa carapace écailleuse que je connais par cœur. Le moindre reflet d’argent qui pourrait y briller sous le ciel nocturne.
Rugissement de bonheur.
Grondement d’orage.
Courant d’air qui manque de me faire tomber. Rattrapage au dernier moment. Assise à nouveau les pieds dans le vide j’ouvre les yeux et regarde avec délice le spectacle qui se déroule devant moi. Un ami plongeant sous les nuages et remontant, auréolé de leur douceur. Il se pose à mes côtés et son regard brille d’une nouvelle vie. Longue flamme comme une langue de feu qui jaillit dans la nuit illuminant pour quelques secondes la voie des possibles infinis. Je m’abandonne dans la douce chaleur de son étreinte en repensant à la phrase gravée loin en bas sur un mur.
« Parfois il suffit juste d’y croire et d’en rêver… »